Block architectes
Groupe d'architectes atypique, BLOCK revendique l'approche expérimentale du projet et l'hybridation des pratiques (performance, installation, dispositifs sonores...), menant depuis une dizaine d'années une stratégie de déplacement et de décontextualisation des signes de l'architecture.
C'est sur un mode à la fois intuitif et analytique que BLOCK intervient en réponse à l'invitation lancée par HOST. "Parcourant l'Ile de Nantes, nous nous sommes imprégnés des formes post-industrielles qui ponctuent ce territoire, fonctionnant comme des marqueurs : la Grue Titan et sa couleur jaune caractéristique nous ont ramenés vers l'esthétique moderniste et le Bauhaus. Nous voulions explorer l'interface entre l'espace du Showroom CIVEL, l'histoire de l'art et du design, la Loire toute proche et le paysage de l'Ile. Notre proposition interroge ces liens en réaction au contexte."
BLOCK s'ingénie alors à faire dériver les objets : la modification apportée sur la façade à la signalétique du Showroom (le L de CIVEL, forme rectangulaire devenue jaune "Titan" pour le projet) entre en résonance avec l'installation d'un objet flottant sur la Loire, dans l'axe de la rue La Noue Bras de Fer. Cette plateforme étrange, sorte d'enseigne déterritorialisée sur l'eau, s'ouvre sur une polysémie référentielle qui questionne les notions d'usage et de signe : c'est à la fois un pixel dans le paysage, un îlot géométrique et monochrome (jaune "Titan" lui aussi), un objet autonome abstrait positionné perpendiculairement au courant, comme une fiction stable dans le réel perpétuellement mouvant du fleuve. Un trou dans l'espace-temps.
En prolongement de cette réflexion, BLOCK réalise un film, projeté à l'intérieur du Showroom, où l'objet flottant traverse le cadre de l'image tournée en plan rapproché sur la surface de l'eau : un curieux ballet nautique, entre apparition et disparition, matérialité et immatérialité.
Deux autres interventions développent cette pensée de la dérivation et de l'intégration dans le contexte mobilier et design. Au sol du Showroom CIVEL, un objet se déploie en deux modules sculpturaux : "A partir du motif de la bouée reliée à son corps-mort, nous avons simplifié au maximum les formes, dans un principe de lissage propre à l'histoire du design contemporain. Il en résulte deux volumes en tôle soudée : un premier losange en 3D, très incliné en porte-à-faux, laqué du jaune brillant de la Grue Titan ; un second parallélépipède à l'équilibre plus stable, noir et mat ; entre les deux, un câble et une prise jack, une manière d'insérer une référence énigmatique au son. Nous voulions un objet qui puisse glisser entre plusieurs statuts, qui ne soit pas vraiment de la hauteur d'une table ou d'un siège mais qui pourtant évoque ce type de référents, et qui rappelle aussi notre plateforme installée à l'extérieur."
En démultipliant ses fonctionnalités potentielles (lest, équipement hi-fi, assise, monolythe minimal ?), BLOCK renouvelle l'approche de l'objet sans jamais écarter l'équivoque de sa nature, tant pragmatique que symbolique. Décliné plus loin dans une version liquide, le Pixel mutant de BLOCK vient araser le bac d'un évier en acier brossé : monochrome jaune animé d'ondes, il est comme la vision matériologique inversée de la plateforme extérieure.
Dans un avenir plus ou moins proche, BLOCK envisage de vouer cette forme matrice à d'autres incarnations : déclinée techniquement en briques de ponton modulaire Cubisystem, elle pourrait se déployer à plus grande échelle, s'inventer un territoire archipélique qui permette de "performer" la Loire, de la traverser et de l'habiter. Cette île artificielle de grosse portance rappelle le dispositif tramé Forme Intermédiaire, un plafond industriel retourné et suspendu par le collectif dans la Cour du Lieu Unique en 2007. Avant de faire découvrir au public cette future Terra Nova encore en gestation, BLOCK offre au Showroom CIVEL un bel éventail de l'art/architecture du détournement qui singularise ce collectif .
Eva Prouteau